À Madagascar, il est souvent difficile de réaliser des projets qui vous tiennent à cœur, même si vous avez une envie très sincère d'entreprendre et de concrétiser votre idée, vous serez confronté(e) à la dure réalité du pays : le manque criant de moyens (techniques), la rareté des matériaux et du matériel, le moindre transport qui est toujours chronophage et se transforme souvent en problème logistique, un rythme d'exécution plutôt "tranquille" (qui peut me rendre dingue personnellement, j'assume ça), la notion de "cahier des charges" qui est quelque chose d'abstrait pour la majorité des artisans parce qu'ils sont habitués à considérer un objet par rapport au remplissage de sa fonction et non par rapport au respect de dimensions notamment.... et au moins 100 autres choses qui feront qu'entreprendre un projet va ressembler à un parcours d'obstacles aussi variés que riches... (je souris en écrivant "variés" et "riches", c'est de l'automédication, ceux qui connaissent la réalité de Madagascar, savent et rient déjà gentiment de mes futurs "soucis".
Donc quand jeudi dernier devant le meuble à pharmacie chancelant de l'hôpital de Befelatanana, j'ai proposé de créer une vraie et grande pharmacie gratuite pour les familles les plus démunies, bien organisée pour faciliter l'accès aux médicaments et la gestion des stocks, j'ai bien vu les regards incrédules que tout le monde me lançait, incrédulité constante jusqu'à la réalisation finale aujourd'hui d'ailleurs.
Donc il y a 7 jours, à part dans ma tête, cette belle pharmacie n'existait pas.
Et pour qu'elle existe, maintenant que je me retourne sur ces 7 jours, je me dis "ANDRIAMANITRA !" / "OH MY GOD!" / "OH MAIS QUI A EU CETTE IDÉE AU LIEU D'ALLER SE PROMENER ?!?".
Il a fallu trouver des planches de bois qui n'existaient nulle part, essuyer le refus de 5 ateliers de menuiserie d'en couper des rectilignes, encore moins d'avoir autre chose que des extrémités coupées grossièrement à la hache, au final entendre la scierie me proposer deux troncs d'arbres couchés au milieu des canards, rentrer sans rien au soir du jour 1, dépitée.
Attaquer le jour 2 avec la volonté de trouver 78 mètres de planches avant le coucher du soleil, se lancer dans un périple en taxis à la recherche de différentes pistes, entendre toujours les mêmes refus, en avoir marre à 15h que rien n'avance et dire "Puisque c'est comme ça, ON SE LANCE ! J'investis dans ma propre menuiserie, j'achète tous les outils et on fera tout par nous-mêmes", ce "on" n'étant pas bien identifié au départ, j'avoue... Mais j'ai convaincu en quelques secondes, Natha et Ranto qui n'avaient jamais touché une scie et une règle à dévers de leur vie que ça allait être GÉNIAL et que l'aventure serait incroyable !
À la fin du jour 2, on a 78 mètres de pin tout humide car fraîchement sorti de la forêt, brut et franchement moche, coupé à la hache, sur une charrette qu'on pousse sur 5km jusque dans la côte à 15% de Mahamasina à l'hôpital de Befelatanana, il fait 28 degrés, on a le bois, tous les outils et on va... décéder au bout du 3ème escalier à monter, sur notre tas de planches mouillées. Fin du jour 2, c'était une bien belle journée !
Jour 3 autrement baptisé "le jour le plus long de notre vie" puisqu'on a trié, mesuré, coupé, réalisé, poncé manuellement 178 pièces de bois brut jusque tard dans la nuit éclairés par la lumière de nos portables. Cette nuit-là, Tana a été traversée par 3 zombies qui ne parlaient plus d'épuisement et qui devaient se retrouver après 4h de sommeil pour aller visiter les enfants malades.
Les jours suivants ont été une succession de tempêtes qui nous ont trempées, d'inondations du couloir qui nous servait de chantier, de découpes dans l'obscurité, de fatigue intense à tout faire manuellement à tel point qu'on ne peut plus tenir un tournevis sans grimacer de douleur et la tentation de baisser un peu notre (mon) niveau d'exigence et de se remotiver en ne se résignant pas à faire moins bien que le résultat visé malgré les difficultés.
Ce soir, la pharmacie est bien là, elle EXISTE, tout est solide, droit, pérenne, exactement comme elle existerait à Paris, mais elle est à Madagascar avec ce petit parfum de victoire sur le "zéro moyen". Elle a carrément le goût du courage et de la persévérance, de l'envie de bien faire les choses et de la capacité à garder leur sens de l'humour des deux meilleurs apprentis menuisiers sur terre, Natha et Ranto, BRAVO à tous les deux et soyez très fiers de vous et de cette belle réalisation !
#makeithappen